« Je mapel Silence é je sui
genti. » Ainsi les lecteurs d’(À Suivre), début 1979, découvrent-ils,
bouleversés, l’ouvrier agricole désarmant et mutique auquel a donné naissance
un auteur belge qu’on a encore peu lu : Didier Comès. C’est un choc. Une
fois consommée cette somptueuse histoire, sur une longueur très inhabituelle
pour l’époque (120 planches), personne n’oubliera de sitôt cet extraordinaire
personnage de simplet lumineux, exploité avec hargne par un paysan prospère du
village où il vit – mais qui, en dépit d’une destinée tragique, connaitra
l’accomplissement par l’entremise du vieil esprit sorcier des campagnes
ardennaises…
À plus de trente ans de distance,
interprété dans un noir et blanc irradiant d’une impressionnante virtuosité, le
maître-livre de Comès – à bien des égards l’un des premiers romans graphiques
de l’espace francophone – demeure une référence majeure de la bande dessinée
contemporaine. Il reparait dans une nouvelle édition qui en souligne la
puissance et l’originalité, assorti du texte actualisé que lui avait consacré
son éditeur de l’époque, Didier Platteau, lors de sa parution initiale.
Chronique de Garlon
Parlons cette fois de la BD
qui fût le plus grand succès de Didier Comès : Silence.
Silence est un simple
d’esprit muet vivant dans un petit village des Ardennes. Se trouvant sous le
joug d’un exploitant agricole, il fait des tâches ingrates toute la journée.
Rien ne semble devoir le sortir de sa vie d’être exploité mais parfaitement
heureux, car voyant le bien partout autour de lui et étant incapable du moindre
mal. Mais que lui veut donc la sorcière du village ? Et qu’est-ce qui se trouve
dans cette grange qui lui est interdite ?
J’ai fort apprécié cette
BD.
Au niveau de la préface, je
l’ai beaucoup moins aimée que celle de L’Ombre du Corbeau, ne la trouvant pas
vraiment appropriée et assez décousue. Comme par exemple ces deux passages
contradictoires où il est d’abord dit que celui qui écrit la préface ne sait
rien du tout de Comès avant d’ensuite dire qu’il préfère Silence à l’auteur
pour telle ou telle raison... De plus, je n’ai pas ressenti la puissance et les
émotions qui étaient véhiculés dans la préface de L’Ombre du corbeau, et j’ai
donc été assez déçu par ce début.
L’histoire est vraiment
très bien trouvée, et l’intrigue fort bien menée. L’originalité est fort
présente, et le tout est vraiment passionnant. Le lecteur s’attachera fort au
personnage de ce simplet muet qu’est Silence, et suivra ainsi avec passion ses
aventures, la découverte de la vérité sur son compte, la haine que tente de lui
insuffler la sorcière et le mal que lui font les habitants du village.
Nous avons ici une histoire
qui montre parfaitement la cruauté des hommes envers ce qui est différent, la
haine qu’ils traînent toujours derrière eux et qui n’attend qu’une excuse pour
sortir et tout dévaster sur son passage. On trouve aussi un personnage très
puissant, Silence, qui est tout le contraire : il voit de l’amour et de
l’amitié dans la haine que les autres lui vouent, prend tout de façon positive
et est incapable du moindre mal, de faire souffrir quelqu’un. Sa simplicité
l’empèche de voir le mal qui se trouve en toute chose et le rend ainsi heureux
malgré sa pauvre situation. Cela, et d’autres aspects, montrent encore la
philosophie que l’auteur met dans ses BD’s, la puissance des émotions qu’il
arrive à véhiculer.
Je m’interrogeais un peu,
au début du livre, sur la raison qu’avait l’auteur de mettre les pensées de
Silence avec autant de fautes, mais je me suis vite rendu compte de l’intérêt,
cela permettant de faire, si l’on peut dire “deux Silence”, et d’ainsi
clairement diviser ce personnage et accentuer sa philosophie.
Même l’action ne manque
pas, dans ce récit qui parait à première vue simple, et permet ainsi au lecteur
d’être encore plus passionné. De plus, les
quelques aspects de sorcellerie que l’auteur ajoute apportent également beaucoup
au récit, car ils lui donnent un aspect fantastique vraiment bienvenu.
Et, en plus de tout ça, les
dessins sont superbes. J’aime vraiment la façon dont Comès dessine, que se
soient les paysages ou les personnages, ces derniers étant d’ailleurs parfois
un peu bizarres, ce qui apporte une dimension supplémentaire.
En bref, une BD à
découvrir, malgré une préface décevante. L’histoire est très originale et
passionnante, le personnage de Silence attendrissant, toute une philosophie
étant développée autour de lui. De l’action et de la sorcellerie sont
présentes, et les dessins sont vraiment superbes. Franchement, lisez Comès,
vous ne le regretterez pas !
Fiche technique
Silence
Didier Comès
Casterman
BD
152 pages
152 pages
22 €
Commentaires
Enregistrer un commentaire